Notre pays est en train de s'enfoncer
dans une peur panique face au Covid-19. Et la peur est parfois pire que le
danger qui la suscite. Gare à la paralysie qui pourrait en découler et
sacrifier notre économie !
Il arrive que la peur soit encore plus grave que le
danger qui la suscite, quand bien même celui-ci serait considérable. C'est ce
qu'on appelle la panique, par exemple lors d'un incendie, d'un naufrage… ou
d'une pandémie. Il me semble que c'est ce dans quoi notre pays, face au Covid-19, est en train de s'enfoncer. Et
c'est une expérience étrange, pour l'anxieux que je suis, de voir monter cette
peur dont les médias ne cessent de se
faire l'écho amplificateur, et que je ne ressens pas. Parce que je n'ai peur de rien ? Au contraire !
J'ai peur, moi aussi, mais pas du Covid-19 : j'ai peur de la dépression – aux
deux sens, psychiatrique et économique, du mot – que tous ces discours
larmoyants et anxiogènes rendent de plus en plus probable.
Le taux de létalité du Covid-19 se situe entre 1 % et
2 % des cas confirmés, et tous les experts s'accordent à dire qu'il est plutôt de
0,6 % ou 0,7 % si l'on tient compte des cas non diagnostiqués. C'est donc une
maladie relativement bénigne (voire absolument bénigne dans 80 % des cas) à
l'échelle individuelle, et une catastrophe sanitaire à l'échelle de la nation.
Avec 0,6 % de 67 millions d'habitants, cela laissait craindre quelque 300.000
morts, peut-être plus, et dans des conditions abominables à cause de la submersion des
services d'urgence et de réanimation. C'eût été une espèce d'hécatombe, à laquelle aucun
gouvernement démocratique ne pouvait se résigner, et dont la perspective suffit
à justifier le confinement.
Toutes les morts ne se valent pas
Il n'en reste pas moins que chacun d'entre nous, s'il
est contaminé par ce virus, garde en moyenne 99 % de chances d'en réchapper :
cela justifie-t-il tant de discours affolés, comme si tout d'un coup la peur
emportait tout ? Il se trouve en outre que ce virus tue de préférence les plus
vieux (au contraire de la grippe espagnole de 1919, dont le pic de mortalité se
situait autour de la trentaine). Pour moi, qui ai cessé depuis longtemps d'être
jeune mais qui suis père de famille, c'est une bonne nouvelle ! Pour une fois
que la vie de mes enfants est moins exposée que la mienne, je ne vais pas m'en
plaindre !
Tous les êtres humains sont égaux en droits et en
dignité. C'est le fondement juridique et moral de notre société. Mais toutes
les morts ne se valent pas : il est plus atroce de mourir à 20 ou 30 ans qu'à
68 (c'est mon âge) ou 75 ans. La moyenne d'âge des morts du Covid-19 est
d'environ 81 ans. Leur mort cesse-t-elle pour cela d'être triste ? Evidemment
pas ! Mais enfin, rappelons que plus de 600.000 personnes décèdent en France
chaque année, dont 160.000 par exemple meurent de cancer (et parmi ces
derniers, des milliers d'enfants, d'adolescents ou de jeunes adultes). En quoi
les quelque 25.000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 600.000
autres ? En quoi méritent-ils davantage notre compassion ? Et pourquoi dès lors
ce décompte quotidien tellement affligé, comme si tout d'un coup la Terre
s'arrêtait de tourner et la vie d'être belle ?
Que d’apitoiement ! Que de bons sentiments !
A l'échelle du monde, on a franchi le cap des 200.000 morts. C'est évidemment trop et ce n'est
pas fini. Mais la malnutrition tue chaque année 9 millions de personnes (dont 3
millions d'enfants) : c'est à peine si l'on en parle en passant, une ou deux
fois par an, à l'occasion d'une catastrophe un peu plus spectaculaire que les
autres. A côté de ces chiffres, ou plutôt de ces réalités, les lamentations de
nos journaux télévisés m'ont souvent paru avoir quelque chose d'obscène. Que
d'apitoiement ! Que de bons sentiments ! Que d'aveuglement !
Puis il y a la question économique… Sacrifier la santé
à la rentabilité ? Il n'en est pas question. Mais pas question non plus de
sacrifier durablement l'économie à la santé : nous n'y survivrions pas !
Imaginons que nos hôpitaux s'arrêtent… Cela poserait certes de gros problèmes à
l'économie, mais point insurmontables. Vous auriez toujours du pain chez votre
boulanger et de l'eau à votre robinet. Imaginez, à l'inverse, que l'économie
s'arrête : au bout de six semaines, il n'y a plus ni soignants ni patients,
parce que nous sommes tous morts de faim. J'en conclus que la médecine a encore
plus besoin de l'économie que l'économie n'a besoin de la médecine, et qu'on
aurait bien tort de l'oublier.
Enfin, comment aimer la vie sans accepter la mort qui
la clôt inévitablement ? Sagesse de Montaigne : "Tu ne meurs pas de ce que
tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant." Si on se laisse
paralyser par la peur de mourir, comment agir ? Et si l'on n'agit pas, à quoi
bon vivre ? Le contraire de la peur, ce n'est pas le courage (qui la suppose),
c'est la confiance. Le contraire de la dépression, ce n'est pas l'optimisme,
c'est l'amour de la vie, avec les risques qu'elle comporte. Qu'on essaie de les
réduire, c'est la moindre des choses. Attention, donc, au déconfinement ! Mais
la paralysie est un risque aussi, et plus grave.
Edito de Challenges
magazine du 30/04/2020
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