La bouche pleine des Français ...

L'époque adore les petites phra­ses ... Elles virevoltent comme des feuilles mortes, poussées par les vents d'un temps incertain. Elles envahissent la sphère politico­médiatique, tournant en boucle sur les chaines d'info, occultant le fond des débats. Elles polluent les réseaux sociaux par leur lacune et finissent en slogans, façon Nabilla.

Et puis certaines, par leur pertinence, leur évident bon sens, résonnent d'un son de verre en cris­tal au milieu du brouhaha. Comme celle prononcée par l'écrivain et aventurier Sylvain Tesson : • La France est un paradis peuplé de gens persuadés qu'ils vivent en enfer ... ~ Dans le concert ambiant de la sinistrose, elle sonne comme une flute enchantée.
Sylvain Tesson, voyageur de l'extrême, a traversé les frontières et les épreuves, forgé son caractère au feu de la découverte, des expériences et des rebonds. Quitté cette zone de confort où l'esprit somnole. Faut-il avoir foulé de nos pieds cette « géographie du cau­chemar », où des peuples souffrent dans leur chair, pour relativiser nos peines?
C'est aussi la philosophie d'un autre grand explorateur : Jean­ Louis Etienne. Invité le week-end dernier aux Assises nationales de la citoyenneté organisées par Ouest ­France, il s'est exprimé dans nos colonnes : • On vit dans un pays où l'accès à l'éducation, aux soins est gratuit. On devrait être moins pes­simistes, moins râleurs, diffuser un peu plus de bonheur collectif. Les Français se plaignent la bou­che pleine. Il y a de nombreux pays où la visibilité ne dépasse pas une semaine ... »

Que l'on ne se méprenne pas, ces deux hommes ne nous disent pas : • C'est pire ailleurs, arrêtez de vous plaindre ... •. le propos serait alors réducteur et peu visionnaire. Ils appellent à regarder en face ce que nous avons la chance d'avoir : une démocratie, une économie certes chahutée mais toujours puissante, des ressources naturelles, une his­toire, des cerveaux, des bras et du courage.
À l'heure des colères et des bloca­ges, des discours alarmistes où fleurissent les populismes et les vio­lences, prenons le temps de lever la tête avant de courir hurler avec les loups. À la veille d'élections munici­pales, comment parler de dictatu­re ? Quand on finit par ignorer ce que coûte véritablement un soin à l'hôpital, peut-on encore tirer sur l'ambulance de l'État providence ?
Il est aisé de prophétiser le chaos ou de se bercer de la douce nostal­gie du" c'était mieux avant- ... Entre le réactionnaire et le révolutionnai­re, entre le passé glorieux ou le Grand soir, il y a de l'essentiel à pré­server et du neuf â inventer.
Pour éviter que ce ne soit • pire après •, servons-nous des leçons de l'Histoire, des innovations du présent et de tout ce qui peut colo­rer le futur. Le dynamisme se nourrit d'optimisme. Pas d'angélisme ou d'utopie béate mais bien de toutes ces petites victoires qu'il est bon de vivre ou d'entendre. Celles qui déclenchent l’envie, à l'image de ces hormones que l'organisme sécrète peur lutter contre ta dépres­sion. Du corps à la nation réamor­çons la pompe.
Commentaire de Lemoine O.F. 

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