Comment combattre le morcellement du pays ?

Comment inventer de nouveaux liens dans une société fracturée ? C'est le thème des Semaines sociales de France qui se tiennent à Lille ce week-end. Entretien avec Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion » de l'Ifop (Institut français d'opinion publique).

Les minorités s'affirment de plus en plus. Elles revendiquent des droits ou détournent des symboles de notre mémoire collective, comme l'étoile jaune lors de la manifestation contre l'islamophobie. Quel est l'état réel de notre société ?
Tous ces symptômes révèlent une société extrêmement fragmentée où chaque groupe essaye de faire valoir son point de vue et de défendre ses positions. Ces groupes s'éloignent et ressemblent aux îles d'un archipel.
Pourquoi ?
Les références républicaines, laïques, catholiques et la contre-culture communiste donnaient une certaine cohésion et une culture commune à des pans entiers de la société. À partir du moment où elles s'effondrent, chaque groupe se croit en mesure d'avoir sa propre vision des choses.
Est-ce la seule raison ?
Cela s'inscrit aussi dans la montée en puissance de l'individualisme et de l'extension sans frein des droits individuels, utilisés pour obtenir des modifications de la loi. C'est en leur nom qu'émergent des revendications nouvelles comme l'ouverture de la PMA (Procréation médicalement assistée). Il y a donc à la fois un morcellement de la société et la recherche de droits nouveaux pour soi-même ou pour son groupe.
La France des archipels devient-elle communautaire ?
Toutes les îles de l'archipel n'ont pas développé le même degré d'entre-soi. Mais le choix des prénoms dans les familles montre que différents groupes régionaux, religieux, culturels veulent affirmer leur identité, défendre leur pré carré et leur droit à la différence, prôné dans les années 1980. Poussé à son paroxysme, cela peut confiner à des expressions de communautarisme.
Qu'en est-il de l'intégration de l'islam ?
Dans l'enquête du Point, 27 % de la population de confession musulmane déclarait que la charia doit être au-dessus des lois de la République. Cette forte minorité reste dans une posture de défiance où d'opposition radicale. Mais la grande majorité ne partage pas cet avis et pense que leur religion doit s'intégrer dans le cadre républicain laïc.
Vivra-t-on de plus en plus séparés les uns des autres ?
Dans une société qui devient multiculturelle, la pente naturelle n'est pas à l'affrontement mais à l'évitement généralisé. Un scénario assez plausible serait que chacune des îles de l'archipel prenne ses distances vis-à-vis des autres. Chacun vivrait dans son coin pour éviter les frictions et l'affrontement.
Comment développer la cohésion ?
En réactivant nos caractéristiques communes que sont notre langue, nos institutions, notre modèle social. Ces forces maintiennent des liens entre les îles de l'archipel. Le tissu associatif est aussi un élément de cohésion comme le maillage très important des élus locaux. Car c'est souvent au niveau local que le vivre ensemble arrive encore à se décliner en pratique alors que c'est de plus en plus difficile au niveau national. Mais on voit bien qu'il manque un supplément d'âme.
Comment retrouver ce supplément d'âme ?
Il n'y a pas de grand projet ni de grand récit permettant de fédérer tout le monde. Ce n'est pas facile à recréer. La prise de conscience environnementale et la transition écologique pourraient peut-être rassembler, car tous sont concernés. Les dirigeants politiques ont la tâche d'embarquer une part importante de notre société autour d'un projet commun et d'une identité qui soit partagée a minima. C'est tout l'enjeu.
Les élections municipales approchent. Or, le jeu électoral pousse des partis politiques à rechercher le soutien des minorités. Cela risque-t-il d'accroître les fractures et le communautarisme ?
Il faut regarder de très près si des intérêts et des organismes communautaires, ayant négocié leur soutien plus ou moins officiellement, pèsent significativement dans les programmes. Ce type de pratique a été observé lors de précédents scrutins. C'est là qu'il faut être vigilant, plus que du côté des listes communautaires. Les médias, qui enquêteront sur le terrain et verront ce type de pratique, ne devraient pas hésiter à mettre un coup de projecteur pour que chacun sache bien à qui il a affaire.

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